L'arrêt Caron et les défis à venir

Date de parution : 5 mars 2018

Par Me Reine Lafond, CRIA, Les avocats Le Corre & Associés

La Cour suprême1 a récemment confirmé que le régime d’indemnisation de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP »), particulièrement en matière de réadaptation et de droit au retour au travail, doit être interprété et appliqué en conformité avec l’obligation d’accommodement raisonnable de l’employeur découlant de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »)2.

Ce jugement clôt une saga judiciaire amorcée en 2010, mettant en cause Monsieur Caron, un éducateur spécialisé victime d’un accident du travail lui ayant laissé des séquelles permanentes. Puisque son employeur affirmait n’avoir aucun emploi convenable disponible à lui offrir, la CSST a rendu une décision selon laquelle elle poursuivrait le processus de réadaptation et chercherait des solutions d’emploi convenable ailleurs sur le marché du travail.

Monsieur Caron a contesté cette décision, estimant que celle-ci était prématurée et que son employeur n’avait pas déployé suffisamment d’efforts pour l’accommoder. Puisqu’aucune disposition à la LATMP ne prévoit expressément le devoir d’accommodement de l’employeur, c’est en revendiquant l’exercice de son droit à l’égalité protégé par la Charte, en raison de son handicap, que Monsieur Caron s’est adressé à la CLP.

Or, il a été débouté par la CLP. Selon la décision rendue, les dispositions pertinentes de la LATMP représentent la pleine étendue de l’obligation d’accommodement de l’employeur, aucune autre mesure ne pouvant lui être imposée. La LATMP devait, dès lors, être présumée conforme à la Charte.

Cette décision a toutefois été annulée par la Cour supérieure3. En 2015, la Cour d’appel s’est, à son tour, rangée à cette position4. En raison de l’impact majeur de ce dernier jugement sur le régime public d’indemnisation des lésions professionnelles, la CSST a porté l’affaire devant le plus haut tribunal du pays.

Entérinant l’approche préconisée par la Cour d’appel, la juge Abella, qui s’exprime au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, écrit :

« Le régime d’indemnisation des accidentés du travail prévoit divers types d’accommodement, comme la réintégration, un emploi équivalent ou, à défaut, l’emploi qui convient le mieux. Le fait que le régime prévoit certains types d’accommodement n’exclut pas l’accommodement général plus vaste qu’exige la Charte québécoise. »

Ainsi, la LATMP doit être interprétée et mise en œuvre comme englobant l’obligation d’accommodement issue de la Charte. La décision de la CSST de rechercher des solutions d’emploi convenable ailleurs sur le marché du travail devait nécessairement impliquer au préalable une évaluation, par l’employeur de Monsieur Caron, des mesures d’accommodement possibles.

Ainsi, dans le cadre du processus de réadaptation déployé par la CNESST, un employeur ne peut se limiter à évaluer si un poste disponible au sein de son entreprise respecte les limitations fonctionnelles d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle avant d’affirmer qu’aucun emploi convenable ne peut lui être offert.  Il a également, lorsque cela ne lui occasionne pas une contrainte excessive, l’obligation de faciliter l’accès à un emploi équivalent ou à un emploi convenable disponible, sans être tenu de créer un emploi convenable de toute pièce. La Cour suprême reconnaît à la CNESST (qui a succédé à la CSST) et au TAT (qui a succédé à la CLP) le pouvoir de vérifier si l’exercice d’accommodement a été réalisé et, dans le cas contraire, d’imposer les mesures raisonnables allant au-delà de ce que prévoit expressément la LATMP.

Si, en théorie, l’exercice peut sembler simple, en pratique, intégrer l’obligation d’accommodement dans le régime public d’indemnisation des lésions professionnelles présentera des défis de taille. Notamment pour la CNESST qui devra s’assurer, lorsqu’elle rendra ses décisions en matière de réadaptation, du respect d’une obligation dont la portée est à géométrie variable. En effet, la mise en œuvre de l’obligation d’accommodement résulte d’un processus individualisé, tributaire de facteurs propres à chaque entreprise et des besoins particuliers de chaque travailleur. De même en est-il de la notion de contrainte excessive, seule limite à l’obligation d’accommodement. Au surplus, le devoir d’accommodement de l’employeur implique l’obligation corollaire de collaboration du salarié et, le cas échéant, du syndicat en place, lesquels doivent prendre part à la démarche et ne peuvent refuser une solution qui est raisonnable, même lorsqu’ils en auraient préféré une autre.

En clair, la CNESST devra revoir son approche pour composer désormais avec une obligation aux contours flous, dont les balises varient au gré de chaque dossier, ce qui ne sera pas sans poser des problèmes de qualité et de cohérence au sein de l’organisme, générant du même coup des litiges aux impacts coûteux, notamment pour les employeurs qui financent le régime. On peut également se demander quelle portée pratique auront désormais les balises imposées par le législateur concernant les critères de l’emploi convenable ou les conditions d’exercice du droit au retour au travail.

Quoi qu’il en soit, il est primordial que les gestionnaires SST s’outillent devant ce changement majeur, qu’ils restent à l’affût des développements à venir et que les démarches de réadaptation soient documentées avec constance et rigueur.

_______________________

1. CNESST c. Caron, 2018 CSC 3.
2. RLRQ, c. C-12, art. 10 et 16.
3. Caron c. CLP, 2014 QCCS 2580.
4. CSST c. Caron, 2015 QCCA 1048.

 

Extrait du GESTION PLUS | Mars 2018 - Bulletin no 263 | Tous droits réservés - Les Éditions Yvon Blais inc.


Extraits du bulletin Gestion Plus
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