La Cour d’appel tranche au sujet des transferts de coûts: est-ce la fin du moratoire?

Date de parution : 13 mars 2018

Par Me Geneviève Mercier, CRIA, Les avocats Le Corre & Associés

Le moratoire sur les demandes de transfert de coûts, ça vous dit quelque chose? Avec le temps qui passe, et tous les changements qui s’opèrent dans le monde de la SST, on en perd parfois son latin…

Le 9 juin 2015, la CSST (à laquelle a succédé la CNESST) annonçait au monde patronal l’imposition d’un moratoire sur le traitement des demandes de transferts de coûts logées en vertu de l’article 326 LATMP1. Elle communiquait ainsi ses intentions de suspendre le traitement de ces demandes, sauf pour les cas d’accidents attribuables à un tiers. L’annonce de ce moratoire était faite peu de temps après que la Cour d’appel ait accordé à la CSST la permission d’en appeler dans l’affaire Supervac 20002. Or, dans un jugement fort attendu, la Cour d’appel a tranché le 24 janvier dernier en faveur de la CNESST3.

Le cœur du litige se situe au niveau de l’interprétation de l’article 326 LATMP. Cet article consacre, à son premier alinéa, le principe général en matière d’imputation. Ainsi, l’employeur est imputé du coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi. Le deuxième alinéa de cet article précise notamment que la CNESST peut imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite selon la règle générale a pour effet d’obérer injustement l’employeur. Dans ce cas, l’employeur doit loger sa demande à la CNESST dans l’année suivant la date de l’accident.

Pour revenir à l’affaire Supervac 2000, les faits sont simples: l’assignation temporaire du travailleur a pris fin en raison de son congédiement disciplinaire. Ainsi, la CSST a repris le versement des prestations à compter de la date du congédiement. L’employeur avait demandé un transfert des coûts portés à son dossier à compter de cette date. La CSST ayant refusé de faire droit à sa demande, il a porté son dossier devant la Commission des lésions professionnelles (CLP), laquelle a accueilli sa contestation. Cette décision avait ceci d’intéressant: une demande de transfert d’une partie des coûts d’une lésion professionnelle, telle que celle en litige, devait être analysée en vertu du premier alinéa de l’article 326 LATMP. Ainsi, selon la CLP, les prestations versées après la date du congédiement ne seraient pas versées en raison de l’accident du travail, mais plutôt en raison de la cessation de l’assignation temporaire à la suite du congédiement. Par conséquent, elles ne devraient pas être imputées à l’employeur. Selon l’interprétation de la CLP, les coûts imputés pour une situation étrangère à la lésion ne doivent tout simplement pas être imputés à l’employeur, mais plutôt à l’ensemble des employeurs. De plus, une telle demande, traitée sous l’angle du premier alinéa de l’article 326 LATMP, selon la CLP, n’est assortie d’aucun délai.

Dans son jugement, la Cour d’appel, faisant droit aux prétentions de la CNESST, retient que du moment où des prestations sont versées à un travailleur, elles ne peuvent que découler de l’accident du travail. Ainsi, le premier alinéa de l’article 326 LATMP ne permet pas un transfert des coûts imputés, mais consacre plutôt la règle générale d’imputation. Pour la Cour d’appel, c’est sous l’angle du second alinéa de l’article 326 et de l’imputation qui obère injustement un employeur que l’analyse du type de situation sous étude doit être faite. Si le transfert de coûts accordé en vertu du second alinéa de l’article 326 peut être total, il peut également être partiel. « Qui peut le plus peut le moins ».

Aussi, la Cour d’appel se penche sur le délai pour le dépôt d’une telle demande de transfert de coûts et conclut que le délai d’un an n’est pas de rigueur. Elle rappelle que la loi accorde à la CNESST le pouvoir de prolonger un délai si un motif raisonnable est démontré. Ainsi, si l’injustice survient ou qu’elle est découverte après le délai d’un an depuis la date de l’accident, il peut s’agir d’un motif raisonnable pour déposer la demande tardivement. En conclusion, la Cour d’appel retourne le dossier au Tribunal administratif du travail pour qu’un juge y décide, conformément au second alinéa de l’article 326, si l’employeur est obéré injustement par l’imputation des prestations versées au travailleur à la suite du congédiement, vu la cessation de l’assignation temporaire. Et on revient à la case départ…

Nous suivrons ce dossier pour vous et vous confirmerons quelles seront les suites de ce jugement de la Cour d’appel et du moratoire imposé par la CSST et maintenu par la CNESST depuis.

___________________

1.    Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, RLRQ, c. A-3.001.

2.    Supervac 2000, 2013 QCCLP 6341.

3.    CSST c. 9069-4654 Québec inc. et CLP, 2018 QCCA 95.


Extrait du GESTION PLUS | Mars 2018 - Bulletin no 263 | Tous droits réservés - Les Éditions Yvon Blais inc.


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